CHAPITRE 3

Chuck émergea de l’astronef, flanqué de deux femmes, et, près de Kris, Dorothy eut le souffle coupé.

– Ne t’en fais pas, Dorothy, dit vivement Kris. Regarde-les. Ce sont des Mitford, ou j’avale un charognard !

La ressemblance ne concernait pas seulement les traits du visage mais aussi les proportions des deux femmes : elles avaient la même carrure solide, la même démarche assurée, et la même façon de regarder les gens en face comme pour les évaluer. Elles étaient toutes deux burinées par les intempéries, et clignaient des yeux, ayant supporté le soleil et le vent pendant des années.

– Ses cousines, je suppose, dit Kris, car Chuck les menait vers elle et Dorothy.

– Dorothy, je te présente mes cousines, Rose et Cherry, et je te serais reconnaissant de leur faire bon accueil. Elles ont eu la vie dure ces derniers temps, et je ne les quitterai pas des yeux tant qu’elles n’auront pas complètement récupéré.

Il montra un véhicule terrestre.

– Dorothy, pourrais-tu les amener à Dane pour un check-up ? L’hiver a été rude au Texas.

– Bien sûr. Rose, Cherry, dit-elle, leur faisant signe de monter dans le véhicule. Ce sera un plaisir. Et je crois que nous aurons beaucoup à nous dire.

– Dorothy Dwardie va vous installer confortablement, dit Chuck, les embrassant sur les deux joues. Mais moi et Zainal, nous avons à discuter. C’est le type dont je vous ai parlé. Celui qui a libéré la Terre et sa propre planète.

Rose lui tendit la main.

– Charlie1 nous a rebattu les oreilles avec tout ce que tu as fait pour sauver les deux mondes.

Cherry était un peu plus réservée, mais elle lui serra la main aussi chaleureusement que Rose, et murmura quelque chose sur son héroïsme inoubliable.

– On te connaît, Zainal, et nous sommes très contentes de te connaître aussi, Dorothy. Nous avons beaucoup entendu parler de toi, Kris. Nous te verrons plus tard.

– Certainement, Rose et Cherry. Et bienvenue sur Botany.

– Et qui sont ces jeunes gens ? demanda Rose, montrant Peran et Bazil.

– Ce sont mes fils, Rose Mitford.

– Enchantée de vous connaître, dit-elle en leur tendant la main.

Peran la serra, puis s’inclina devant elle, courtoisie qui lui fit cligner des yeux d’étonnement. Sans aucun doute, se dit Kris, elles n’avaient jamais rencontré un Catteni ayant de bonnes manières. Et cela prouvait que les Massais avaient appris aux garçons à respecter l’âge et les femmes.

– Puis-je vous présenter Clune, Ferris et Ditsy, mesdemoiselles Mitford ? dit Kris, pour terminer les présentations.

– Rose est pharmacienne, dit Chuck, aidant l’aînée à monter en voiture. Et Cherry kinésithérapeute.

– Tu aurais pu nous les amener même si elles ne savaient que tricoter, dit Kris, dédaignant la remarque de Chuck et leur adressant un sourire chaleureux.

– Si vous avez envie d’utiliser vos compétences, dit Dorothy, se mettant au volant, Dane sera triplement content de vous avoir quand il vous aura remises sur pied. C’est notre médecin-chef.

Sur ce, elle prit congé du comité d’accueil.

Dès que la voiture eut démarré, Chuck se tourna résolument vers Zainal.

– J’ai eu de la veine. J’ai troqué quatre pots de Nescafé contre ces pièces de satellite que nous cherchions sur la Terre. Ce dont nous avons besoin se trouve sur Barevi.

– Nous nous en doutions.

Chuck tira de sa jaquette un magnéto portatif.

– Un directeur du Jet Propulsion Lab m’a fait une liste de ce qu’il nous faut pour les satellites. Il m’a dit que les plus récents comportent des unités permutables. Cela faciliterait le maintien en orbite de ceux que nous possédons déjà. Ceux dont se servaient les Cattenis pour s’exercer au tir. J’ai inspecté rapidement le butin de Barevi, et ils ont tout ce qu’il nous faut.

– Nous organisons une mission de rachat.

– De rachat ?

Chuck le regarda, éberlué.

– Ouais, dit-il, et ses épaules s’affaissèrent, et j’espère que vous avez les trucs qu’ils désirent.

– Pas de café, mais de l’or.

– Pour leurs dents ? dit Chuck, étonné. Comment l’avez-vous appris ?

– Peu importe, dit Zainal haussant nonchalamment les épaules. Bien que la vanité n’ait jamais été un problème catteni. Mais personne n’avait jamais pensé que les dents tombées pouvaient être remplacées. Et nous avons aussi un dentiste.

Chuck rit de bon cœur et lui donna une grande bourrade sur l’épaule.

– Je me demandais comment vous annoncer que nous devrions racheter nos propres matériels à ces pillards bareviens. Et il faut faire vite. Au marché, beaucoup de pièces sont piétinées par ces zozos qui se défoulent.

Il hocha la tête.

– Quand je pense à tout le matériel que nous ne pouvons pas produire…

Il s’interrompit, prit une profonde inspiration et poursuivit.

– Tu ne croirais pas tout ce que les Terriens ont accompli.

– Dans la reconstruction ?

– Pas seulement des infrastructures. Tu seras fier d’eux. Bon, peut-on convoquer une assemblée de tous les colons ?

– Il y en a une prévue pour ce soir. Nous devons avoir l’autorisation de tous pour utiliser les produits de la colonie à ces opérations de rachat.

– Parfait. Je vais prendre une douche et me changer. Et je ramène aussi un équipage.

Par-dessus son épaule, il regarda la rampe sortie du KDL.

– Ils sont en formation, mais ils connaissent leur affaire, crois-moi. Rien d’étonnant. La plupart viennent de la NASA, dit-il avec un grand sourire. Ils ont apporté plus que je n’en demandais pour les KD, mais nous avons aussi d’autres vaisseaux.

Il montra ceux parqués dans le champ.

– Ils apprennent très vite, et j’avais de la place disponible.

Il se retourna et cria :

– Amenez-vous. Bienvenue sur Botany, les mecs et les filles.

Neuf hommes et femmes apparurent, impeccables dans leurs uniformes. Ils se rangèrent en double file devant Chuck, qui continuait à sourire jusqu’aux oreilles.

– Excellent Emassi Zainal, les recrues des forces aériennes de Botany sont à tes ordres, dit l’un d’eux, qui fit deux pas vers Zainal avec le salut militaire. Sam Maddock, et huit volontaires, tous pilotes, et pilotes spatiaux. Peu d’expérience de l’espace, mais nous avons appris à tour de rôle avec le sergent Mitford pendant le voyage.

– Enchanté de vous avoir à bord, colonel Maddock.

Le colonel se redressa un peu plus en entendant

Zainal lui donner son grade, car il avait remarqué la feuille d’érable en argent sur son col.

Comment Zainal avait-il appris à reconnaître les insignes des grades, Kris n’en avait aucune idée mais, pour l’heure, cela s’avéra utile.

– Vous avez été largués sur une bien belle planète, Emassi.

– Coup de chance, colonel, pur coup de chance ! Je vous présente Kris Bjornsen, ma compagne, et voici mes fils, Peran et Bazil. Plus Clune, Ferris et Ditsy, qui nous accompagneront sur Barevi pour faire nos emplettes. Nous pourrons avoir besoin de vos services pour accomplir cette mission.

– A tes ordres, Emassi.

– On m’appelle Zainal, colonel, pas Emassi. Maintenant, si tu veux bien me présenter le reste de ton groupe, je vous ramènerai au village et je vous trouverai des logements.

– Nous pouvons rester sur le vaisseau si vous manquez de place, Zainal. Le sergent nous a dit que vos installations sont assez rudimentaires.

– Je dois vous présenter à beaucoup de gens, et nous avons des questions à discuter et des plans à établir.

– Je comprends, Zainal.

Il fît un demi-tour parfait, et s’approcha de la première personne rangée derrière lui – une femme.

– Capitaine Jacqueline Kiznet, vingt-cinq heures de vol sur F-122. Elle devait piloter la fusée de ravitaillement Mars 10. Le capitaine Kiznet a subi un entraînement sur la série KDL, et a pris cinq quarts pendant le voyage.

– Enchanté, capitaine Kiznet, dit Zainal, lui serrant la main et lui rendant son salut.

Elle était de taille moyenne, avec des cheveux noirs, un visage agréable et des yeux pétillants.

– Le capitaine Katherine Harvey connaît aussi les KDL et les KDM, s’est exercée sur simulateur pendant le voyage et a fait fonction d’ingénieur de service.

C’était une grande rousse au visage parsemé de taches de rousseur, et d’attitude résolument réservée.

– Le lieutenant Gail Sullivan est spécialiste en communications et parle couramment le catteni.

Sullivan avait des cheveux blonds coupés court, l’air sidéré, et paraissait petite à côté de la grande rousse.

Zainal lui serra vigoureusement la main.

– Bienvenue sur Botany, Emassi Sullivan. Connais-tu les procédures d’amarrage et de parking ? demanda-t-il en catteni.

– J’ai écouté toutes les bandes à bord du KDL, Zainal, et je crois pouvoir t’assurer que je suis capable d’amarrer et de parquer un vaisseau dans n’importe quel astroport, répondit-elle dans la même langue, parvenant à grogner les sons avec un accent passable.

– En fait, intervint Maddock, elle l’a déjà fait sur Barevi.

– Bien, très bien.

Peut-être Kris fut-elle seule à remarquer que Zainal était plus détendu quand il aborda la recrue suivante, qui clignait des yeux, en homme habitué à lire des petites lettres ou des écrans d’ordinateur.

– Voici le lieutenant Ed Douglas, qui sait lire le catteni.

– Tu peux lire le catteni ? lui demanda Zainal dans cette langue.

– Lentement, Emassi. Mais je travaille aussi à un glossaire anglais-catteni de termes techniques, qui devrait être très utile.

– C’est bien vrai. Bienvenue à bord, lieutenant, dit Zainal, lui secouant la main avec vigueur.

Kris dut faire un effort pour ne pas perdre son sérieux.

– Je suis assez lent pour le vocabulaire purement technique, mais les termes courants, c’est du gâteau, dit-il, faisant claquer ses doigts.

– Lieutenant Mullinax, astrogateur, et lieutenant Mpatane Cummings, également dans les communications. Tous deux parlent couramment le catteni.

– Bon sang, où les as-tu dénichés ? demanda Zainal, absolument enchanté.

– Sur la Terre, bien sûr, en train de glander et de se demander quel genre de boulot ils pourraient bien trouver. Le carburant pour avions n’intéresse personne et, en conséquence, la plupart des pilotes sont chômeurs. L’essence est strictement rationnée, et exclusivement réservée aux ambulances et aux véhicules d’urgence. Le kérosène qui reste dans les cuves des aéroports est attribué aux hélicoptères de secours et ça m’a fendu le cœur de voir gaspiller de si précieuses ressources humaines. Tu me connais.

Il eut un de ses haussements d’épaules sibyllins, laissant entendre que tout gaspillage était intolérable.

– Et ils ne resteraient pas là assez longtemps pour qu’on fasse leur portrait. De plus, je savais qu’on avait les zincs mais pas les pilotes. Naturellement, il faudra vérifier leurs compétences, mais ils sont d’accord.

– Ton timing est excellent, comme toujours, sergent.

– Je ramène aussi deux mécaniciens de haut vol, Dutch Liendgens et Dirk Fuhrman. Ils ne savant pas beaucoup de catteni, ajouta-t-il, faisant signe aux deux hommes d’avancer, mais ils connaissent leur affaire, et mon « copain » du JPL dit qu’ils connaissent aussi l’inventaire de tous les grands fabricants – comme Teledyne et Motorola –, et qu’ils ont aussi leur petite idée sur les trucs high-tech que le JPL et la NASA expérimentaient pour la base de Mars. Mais le plus important, c’est qu’ils peuvent assurer la maintenance des KD.

– La Base de Mars est-elle toujours opérationnelle ?

– Oui, et occupée par nos hommes.

Quelqu’un derrière lui toussota, et il ajouta :

– Et par nos femmes. Leurs jardins ont été mis à l’épreuve. Ils produisent maintenant des légumes et de l’oxygène.

– Voilà de bonnes nouvelles à répandre, dit Zainal.

– Les envahisseurs étaient tellement malins qu’ils ont oublié de couper les lignes de téléphone atlantiques. Et, à ce qu’on m’a dit, la plupart des techniciens des communications sont parvenus à cacher les éléments les plus importants quand ils ont réalisé qu’on les attaquait de l’espace. Ces unités sont remises en service à mesure que la production d’électricité reprend. Bon sang, en certains endroits comme l’Arkansas, ils se servent d’éoliennes pour produire du courant. Et à

Hawaï et en Californie, ils sont drôlement contents d’avoir des champs d’éoliennes.

« J’ai encore des tas de choses à t’apprendre, Zainal, mais on ferait peut-être bien d’organiser les équipages. »

Zainal le gratifia d’une bourrade qui exprimait sa satisfaction et sa surprise.

– Bienvenue sur Botany, vous TOUS ! ajouta-t-il, ouvrant les bras en un geste expansif avec un grand sourire. Par ici pour la Retraite.

– La Retraite ?

– Vous en faites pas, dit Chuck, ce n’est pas une position de repli, c’est notre capitale.

– Passe devant… notre chariot nous attend ! ajouta Zainal comme Jerry Short arrivait avec la camionnette.

– Super, Zainal. Transport terrestre. Entassez-vous là-dedans.

« Entasser » était le mot juste, car toutes les nouvelles recrues du Service spatial botanien bondirent ou sautèrent sur la large plate-forme du véhicule. Kris fut hissée par deux lieutenants, et elle décida qu’ils étaient en forme. Elle se demanda s’ils avaient été entraînés au close-combat. Ce serait utile, se dit-elle, surtout pour les femmes. Ils pourraient peut-être lui enseigner quelques bons mouvements de défense. Elle commençait à se sentir mieux au sujet de cette mission de rachat. Le Conseil serait obligé d’accepter – surtout maintenant qu’ils avaient des renforts. Elle repéra Zainal qui devisait aimablement avec l’astrogateur et la filiforme Mpatane, lieutenant des communications. Puis il éclata de rire à une remarque de la femme, qui fit aussi jubiler tous ceux qui l’entendirent.

Le temps que Jerry les conduise au bâtiment principal, quelqu’un les avait avertis que la foule les attendait, désirant des réponses aux questions qu’ils criaient.

Zainal se leva, demandant le silence d’un geste.

– Raison de plus pour que vous veniez à l’assemblée de ce soir, mes amis. Pour le moment, nous devons mettre la tactique au point. D’accord ?

La foule se dispersait à contrecœur quand le capitaine Kiznet, les mains en porte-voix, cria :

– J’ai de nouvelles listes de survivants, que je vais punaiser afin que tout le monde puisse les voir.

Immédiatement, ils montrèrent le tableau de service, près duquel était accroché un tableau d’affichage réservé à cet usage.

– Dix-neuf grandes villes d’Europe et d’Asie, et des nouvelles de quarante-sept petites villes américaines, ajouta-t-elle, récompensée par une bruyante ovation.

Kris sauta à bas de la plate-forme et dirigea le capitaine vers le réfectoire, où elle l’aida à afficher ses listes. Puis elle le conduisit hors de la foule qui se pressait pour les lire. Cette foule se réduirait-elle un jour à deux ou trois personnes ? se demanda-t-elle. Zainal lui avait fait signe d’amener le capitaine à la salle de conférences contiguë au réfectoire. Lui saisissant le bras, Kris fendit les rangs et entra dans le silence relatif de la salle. Elle sourit en voyant Chuck et Dorothy en train de s’embrasser. Elle avait tout le temps de lui présenter leur fille Amy. Pour le moment, on aurait dit qu’il ne lâcherait jamais Dorothy.

Zainal traversa la salle pour s’assurer que seuls ceux dont il avait besoin entraient pour voir les nouvelles recrues. Il envoya Peran, Bazil et Ditsy chercher des rations de café et les sandwiches qui restaient encore à la cuisine à cette heure.

Quand Kris put s’asseoir après qu’il lui eut donné la liste de ceux qu’il voulait voir à cette réunion, il effaça le tableau et y inscrivit les grands thèmes de la discussion. Cela fait, il inscrivit la liste de ses traducteurs de catteni. Elle fut contente de se voir en haut de la liste, qui comprenait aussi Floss, Clune, Peran, Bazil, les frères Doyle, Ferris et Ditsy, Chuck, Sally Stoffers, Gino et Mack Dargle, de même que Dick Aarens et Peter Snyder. Y figuraient aussi les noms des neuf nouveaux venus, et elle fut ravie de constater qu’il les avait écrits sans fautes.

– Bon, mes amis, je pourrais avoir le silence ?

Mais à cet instant, Chuck, tenant Dorothy par la main, entra, suivi des garçons chargés de plateaux.

– Prenez d’abord un café et un sandwich, dit Zainal, et Kris se glissa vers les garçons, s’empara d’une tasse et d’un sandwich qu’elle lui apporta. Appuyé contre une table, il mangea avidement. Puis Beth Isbell s’approcha avec un bloc-notes qu’il parcourut tout en mastiquant. Elle attendit patiemment à côté de lui, et quand Peran lui apporta une tasse, elle fut sur le point de refuser, mais elle finit par l’accepter. Beth était très pointilleuse sur l’observation des rations, bien qu’ayant confié à Kris qu’elle était accro à la caféine, et que son pire problème après le largage avait été la privation de café.

Zainal griffonna ses initiales sur la première page, sortit ce qui devait en être une copie qu’il plia et glissa dans sa poche de chemise, avant de rendre le bloc à Beth. Elle s’éloigna, mais s’arrêta pour bavarder avec un groupe.

– Mike vient juste d’apporter les trésors de la planète, et on les a mis en lieu sûr à l’hôpital, murmura Zainal à Kris, touchant le papier qu’il avait mis dans sa poche. Nous sommes riches, ajouta-t-il avec un clin d’œil malicieux. Profitons-en pendant que ça dure.

– Assez riches ? murmura-t-elle en réponse.

Il haussa les épaules.

– Oui, si nous marchandons bien.

– Je raserai la tête de tous ceux qui nous grugeront.

– Content que tu sois de mon côté, ma chérie.

Le regard amoureux de Zainal l’émut profondément. Elle espéra que les nouveaux passeraient de nouveau la nuit dans le vaisseau.

Enfin, il se redressa et leva les mains. Le silence s’établit dans la salle, avec un bourdonnement de « chut » en bruit de fond.

– J’ai des nouvelles plus que bonnes, mes amis. Nous avons des articles à troquer, nous avons les services et la coopération d’Eric Sachs, dentiste diplômé, pour faire aux Cattenis les couronnes en or qu’ils désirent, et nous avons de nouveaux pilotes pour les cargos. Comment dites-vous déjà : « Nous sommes pleins aux as » ?

Cela lui valut des gloussements approbateurs.

– Nous montons cette expédition aussi vite que possible. Chuck Mitford, homme de ressources comme toujours, a fait un détour par Barevi en rentrant, et a inspecté les magasins pour voir s’ils ont les composants qu’il nous faut. Il semble qu’ils les aient. Je m’en remettrai à la décision du Conseil, et nous saurons ce soir s’il nous autorise à emporter des métaux précieux, afin de racheter les pièces les plus indispensables à la réparation et à l’amélioration de nos systèmes de communication, pour rester en contact avec d’autres mondes. En attendant, les trois KDM doivent être prêts à décoller, alors que les équipages commencent les vérifications IMMÉDIATEMENT.

Il attendit que lesdits équipages quittent la salle de conférences.

– J’ai besoin de vivres. Tous les râblés que nous pourrons réunir entre maintenant et demain matin neuf heures, quand nous aurons la permission de partir, je l’espère. Comme vous voyez, nous avons de nouveaux visages, recrues récentes de la Force spatiale de Botany. N’oubliez pas de leur souhaiter la bienvenue – plus tard.

« Dick Aarens, je te prie de t’entretenir avec les lieutenants Mullinax, Cummings, et Douglas, et tous ceux d’entre vous qui ont l’expérience des satellites et unités de communications. J’anticipe peut-être sur la décision du Conseil…

– J’en doute, remarqua quelqu’un, provoquant des rires.

Kris vit Zainal prendre une profonde inspiration, soulagé.

– Je vous remercie de votre généreux soutien, dit-il, s’inclinant avec dignité devant la foule. C’est moi qui nous ai mis dans cette situation, et c’est à moi de nous en sortir.

– Qu’est-ce que c’est que cette connerie, Zainal ? lança Léon Dane qui entrait à cet instant.

– C’est vrai, ce n’est pas ta faute si les Eosis et les Cattenis ont envahi la Terre, dit Peter Snyder presque avec colère.

– J’aurais dû savoir que les marchands bareviens nous mettraient des bâtons dans les roues.

– Tu n’es pas télépathe, rétorqua Peter. Et tu as obtenu la plus grande partie de ce que tu désirais. La liberté de la Terre et de Botany, non ? Des autres colonies forcées aussi ? Et la fin de la domination des Eosis sur ton propre peuple. Pourquoi devrais-tu continuer à porter le chapeau ?

– Je me considère comme responsable, dit Zainal d’un ton ferme.

– Il n’y a aucune raison à ça, Zainal, dit Léon Dane, élevant la voix pour couvrir les protestations.

– Cela ne change rien, dit Zainal. Je dois réparer cette erreur et je la réparerai.

– Tu en as fait plus que quiconque croyait possible, dit Kris.

– Mais pas autant que je croyais, dit-il, abattant la main sur la table pour mettre fin à la discussion.

Kris ne protesta pas davantage, sachant que c’était inutile, mais il y en avait d’autres qui continuaient à contester sa culpabilité. Elle le connaissait mieux, et elle savait qu’il était maintenant décidé à aller jusqu’au bout, et que rien ne le distrairait de ce qu’il considérait comme son devoir et sa responsabilité. Les Cattenis étaient entêtés, aucun doute là-dessus. Elle l’admirait pour cela, mais elle serait contente quand il jugerait qu’il pouvait se détendre. Ses fils le regardaient avec adoration, mais elle savait qu’il ne faisait pas ça pour obtenir leur approbation.

– Lieutenant Douglas, as-tu apporté ton glossaire de termes techniques ? Et pouvons-nous en faire des copies ?

– Vous avez une photocopieuse ? demanda l’officier, étonné.

– Plusieurs copistes, qui reproduisent très bien les signes cattenis.

– A la main, dit Douglas, consterné.

– Qu’est-ce que tu as contre les vieilles méthodes ? demanda Zainal, faisant le geste d’écrire.

– Rien, sauf que des fautes dans les copies sont plus que probables, et que certains de ces termes doivent être très précis.

– Nous avons de bonnes dactylos, lieutenant, dit Kris. Pas de problème. Beth ?

Elle lui fit signe, se félicitant qu’elle soit encore là.

– Combien de machines à écrire avons-nous ? Et de papier ?

– Tout dépend de ce qui doit être transcrit, et pour quand.

– Décollage demain matin ? demanda Kris.

– Si je peux fournir du courant aux machines, je ferai travailler les dactylos toute la nuit, à tour de rôle. Où est l’original ?

– Il faut que j’aille chercher mes notes dans le vaisseau, dit Douglas, un peu démonté, mais il se secoua, un peu comme un animal ébouriffé qui veut remettre sa fourrure en place.

Kris pensa avec nostalgie à leur chat, qui devait avoir été mangé, ou qui était retourné à la vie sauvage.

– Tu avances à une vitesse stupéfiante, Emassi Kris.

– Il le faut, lieutenant.

– Vous avez des ordinateurs ici ? demanda-t-il, s’attendant à une réponse négative.

– Les meilleurs que nous ayons pu trouver sur Barevi la dernière fois, dit-elle, regrettant de parler d’un ton si défensif.

Il n’eut pas l’air contrarié et lui sourit.

– Avec pas mal de mémoire et de rapidité, lieutenant. Kris n’a sélectionné que le meilleur, et nous avons aussi des imprimantes, dit Beth avec fierté, mais pas beaucoup d’encre. Nous venons juste de trouver un végétal pour faire de la pâte à papier, si bien que notre production est encore insuffisante pour nos besoins. On dirait que cette planète marche au papier.

– Je trouve que vous avez été assez rapides pour une colonie forcée, Miz Isbell.

– Et tu n’as encore rien vu, lieutenant. Kris, je peux emprunter un véhicule pour ramener le lieutenant au vaisseau ?

– Naturellement.

– En fait, nous avons peut-être du papier à bord. Les vaisseaux publient beaucoup de journaux, tu sais, disait Ed Douglas à Beth qui lui faisait signe de la suivre hors de la salle. Quel genre d’imprimantes Kris a-t-elle libérées ?

– Des Hewlett-Packard, bien sûr, répondit Beth, marchant vers la sortie.

– C’est ce qu’il y a de mieux, approuva Douglas, puis ils sortirent.

– J’ai étudié la dactylo au lycée, murmura Clune. Je tape vite et je sais le catteni, aussi je ne ferai pas de fautes.

– Merci, Clune, mais on aura sans doute besoin de toi pour autre chose. Je ne sais pas ce que Zainal vous réserve, à toi et aux autres garçons.

– Tout ce qu’il voudra, Kris. Quel mec ! dit Clune, manifestement impressionné. Même Ditsy le dit, et Ditsy ne parle pas souvent.

– Vous avez eu la vie dure chez les Massais ?

– Pas dure, Kris, mais différente. Les Massais ont une culture très éloignée de la nôtre. Je suis drôlement content que vous ayez tiré Floss de là au bon moment. Tu aurais dû voir le vieux avec lequel on voulait la marier !

– Je sais. Tu demanderas à Dane de te donner des préservatifs, d’accord ? dit-elle avec un regard sévère.

– Je t’entends bien, Emassi Kris.

Son visage se durcit soudain.

– Mais ça ne te fait rien que ce soit moi ? dit-il, montrant sa peau noire.

– Pourquoi ? Vous avez des liens qui remontent loin et que je ne veux pas détruire. Et je te nomme garde du corps secret de Floss.

– Je le suis déjà depuis six ans, avant même l’invasion des Cattenis. Mon père était le chef de sa tribu, dit-il, redressant la tête d’un air embarrassé, quoique fier. Seul de tous ses fils, j’ai été envoyé aux USA pour faire mes études.

– J’aurais dû me douter de quelque chose dans ce genre-là, dit Kris avec approbation. Tu as un air d’autorité, tu sais. C’est ce qu’il faut pour traiter avec les marchands bareviens. Floss dit que tu as fait pas mal de négociations avec les Cattenis ?

– Il le fallait bien, Kris, mais certains pensaient qu’on était de mèche avec eux. On restait en vie et on évitait les rafles.

Son visage changea, empreint soudain d’une inquiétude intense.

– Où les autres milliers de Terriens ont-ils été largués ?

– Nous le découvrirons, Clune. Cela fait partie de ce que nous devons découvrir sur Barevi.

– Ils regretteront d’avoir envahi notre système.

– Les Eosis le regrettent déjà, répondit Kris avec un rire ironique. Bientôt, Barevi le regrettera encore plus.

– J’espère.

– Moi aussi. Vraiment, dit-elle d’un ton très positif, réprimant cette crainte de l’échec qu’elle refusait de voir.

Au souvenir de tout ce qu’ils étaient parvenus à accomplir, elle ne se croyait pas trop optimiste. Enfin, peut-être un peu. Cette expédition serait difficile, même si toutes les chances étaient de leur côté. Ce à quoi elle aspirait, c’était à moins d’aventures, même si la vie lui paraissait monotone après tout ce qu’elle avait vécu depuis six ans. Mais il y avait autre chose, comme Zainal l’avait exprimé avec force, qui était devenu sa responsabilité, ainsi que celle de Zainal et de Botany. Enfin, c’était la vie, non ? Elle n’avait même pas terminé ses études universitaires, et elle avait déjà toute une carrière derrière elle.

Maintenant, les nouveaux venus se mêlaient aux résidents, leur posant toutes sortes de questions. Les cousines de Chuck étaient là aussi, l’air déconcerté. Kris allait s’approcher d’elles quand elle vit Chuck et Dorothy les emmener. Elle vit aussi que les deux fils de Zainal parlaient avec un groupe de Botaniens, l’air très à l’aise, et elle n’avait donc pas à s’inquiéter pour eux. Même Ditsy était en grande conversation, alors elle ne voyait pas qui pouvait avoir besoin d’elle. C’est alors que Chuck, Dorothy et les cousines foncèrent droit sur elle.

– Tu as une minute, Kris ? demanda Chuck, le visage congestionné. J’aimerais être présenté à ma fille.

– Oh, zut ! Dans toute cette agitation, j’ai oublié que tu ne l’avais pas encore vue. Allons-y tout de suite, avant que quelqu’un ne m’arrête pour un problème absolument essentiel.

Kris se dirigea vers la porte, demandant nerveusement comment elle allait expliquer cette maternité aux cousines, à qui on l’avait présentée comme la compagne de Zainal.

Elle sentit qu’on lui touchait le coude et réalisa que Chuck marchait près d’elle.

– Ne t’en fais pas. Dorothy leur a parlé de la décision de la colonie d’élargir le pool génétique.

Oui, se dit Kris avec agitation, mais elle n’était pas obligée de se soûler, coincée dans le vaisseau sur Catten, et de séduire Chuck qui tenait à peine debout, ivre mort d’avoir bu le tord-boyau local avec le commandant de l’astroport.

Kris n’était pas certaine que cette explication satisferait les deux vieilles filles qui, à l’évidence, adoraient leur cousin.

– Ne t’inquiète pas, Kris. Elles sont tellement contentes que j’aie un enfant !

Il continua à marcher un peu devant Rose, Cherry et Dorothy, poursuivant ses explications à voix basse.

– On dit que leur santé va s’améliorer sur Botany. L’hiver a été rude au Texas, avec plus de neige que d’habitude, et elles n’avaient aucun moyen de transport pour aller en ville quand la communauté s’est formée. Quand même, elles n’ont pas manqué de grand-chose : quand elles n’avaient plus de farine pour faire le pain, elles allumaient un feu et attiraient un automobiliste qui emmenait Rose en ville, et tout allait bien. Elles avaient même fait des conserves, qu’elles troquaient contre de la farine.

Il semblait très fier de ses cousines. Puis il montra Dorothy de la tête.

– Elles avaient toujours désiré que je me marie, et Dorothy semble leur plaire.

– Elle est facile à aimer, Chuck. A part ça, je ne sais pas à qui ressemble Amy. Ni à toi ni à moi.

– Elle est bien jeune pour ressembler à quelqu’un à part elle, non ?

Kris riait encore quand ils arrivèrent à la crèche. Amy était dans un parc, couchée sur le dos et faisant des moulinets avec les bras en réaction au bruit ambiant.

– Dieu du ciel, c’est le portrait craché de ta mère, notre tante Mary, dit Rose, plaquant ses mains sur sa bouche en un geste bien féminin de stupéfaction. Regarde donc ses cheveux, et la forme ravissante de son visage ! Je me rappelle une photo de l’album de famille… et cette enfant est Mary Mitford ressuscitée ! Je peux la prendre, Kris ?

– Bien sûr, dit Kris, ravie.

Rose savait s’y prendre avec les enfants, et Amy se détendit dans ses bras comme si elle les avait toujours connus. Toujours très entourée, elle n’avait jamais été timide. Peu d’enfants l’étaient à la crèche. Même Daisy, dont les médecins pensaient qu’elle serait peut-être renfermée à la suite de ses traumatismes, babillait maintenant sans inhibitions.

Cherry se mit à renifler et à ravaler ses larmes.

– Elle est adorable, Chuck. Comment êtes-vous parvenus à faire une fillette aussi ravissante, tous les deux ?

Puis, elle aussi, porta les mains à sa bouche, dilatant les yeux de consternation à ce qui venait de lui échapper.

– Heureux mariage de gènes compatibles, dit vivement Dorothy. Cela se produit souvent depuis que nous avons commencé à accroître la population indigène de Botany.

Zane, qui semblait avoir des antennes l’avertissant de la présence de sa mère, arriva en sautillant au quartier des bébés, et se jeta sur elle. Alors elle le présenta aussi aux cousines Mitford.

– Celui-ci ressemble beaucoup à son père, dit-elle, lui ébouriffant les cheveux, et je suis soulagée de savoir pourquoi Amy est si jolie.

– Tu es jolie, m’man, dit loyalement Zane, défiant quiconque de le contredire. A qui elle ressemble, Amy ?

– A la mère de Chuck, Dieu ait son âme ! dit Rose, étonnée de la question de l’enfant. Nous avons un très vieux daguerréotype de Mary, que tu devras nous récupérer, Charles, la prochaine fois que tu iras sur Terre.

– Dans le salon ? demanda Chuck, la regardant bercer sa fille.

– Naturellement. Dans le vaisselier. Dans le bas, première étagère à gauche. Sinon, où ?

– J’aurais dû y penser sans que tu me le rappelles, dit Chuck, penaud. Ecoutez, j’ai du boulot pour la mission. Vous êtes en de bonnes mains, au cas où je ne vous reverrais pas avant de partir.

– Sois prudent, Charles, lui dit l’aînée, le menaçant du doigt.

– Ne t’inquiète pas pour lui, dit Kris, incapable de ravaler sa remarque. Je le protégerai.

– Ouais, toi et qui d’autre ? demanda Chuck, presque à la porte, lui lançant un regard cocasse.

– Avec ma maman, tu n’as besoin de personne d’autre, dit Zane avec défi.

– C’est bien vrai, petit, bien vrai, dit Chuck, leur faisant au revoir de la main avant de disparaître.

– Est-ce qu’il sera en danger, Kris ? demanda timidement Rose.

– Pas plus que nous, répondit Kris. Ne vous inquiétez pas. Vous êtes en sécurité ici, et nous sommes tous contents que Chuck vous ait retrouvées.

Après avoir écouté les deux cousines énumérer les grâces de sa demi-sœur, Zane retourna jouer.

– Quel enfant vigoureux ! dit Rose. Comment peux-tu quitter ces adorables petits ?

– Uniquement parce que je le dois, dit Kris. Mais savoir que vous vous occuperez d’Amy est un grand soulagement.

– Naturellement qu’on s’occupera d’elle. Tu peux en être sûre.

– Alors, si vous voulez bien m’excuser, je dois m’occuper de quelques préparatifs, dit Kris, les saluant avant de partir.

Elle devait mettre de l’ordre dans ses notes pour l’assemblée du soir, mais elle avait encore quelques détails à préciser, aussi se dirigea-t-elle vers la bibliothèque.

– Holà, Betty ! Où te caches-tu ? cria-t-elle en entrant par la grande porte.

– Betty n’est pas là, dit le Dr Hessian. Que puis-je faire pour toi ?

Depuis que le Dr Hessian s’était remis du sondage cérébral des Eosis, il passait des heures à la bibliothèque, aidant à cataloguer la collection hétéroclite de livres libérés de Barevi.

– J’ai besoin de savoir quels pays terriens produisent du café.

– Alors ça, c’est une question bizarre. Mais il se trouve que j’ai fait autrefois un mémoire sur les producteurs de café. Le Brésil, bien sûr, qui était le plus gros. La culture du café exige un climat tropical, tu sais.

Des éclairs de vieilles pubs télé fusèrent dans sa tête.

– Quelle espèce ? Arabica ou robusta ?

– De toutes les variétés.

– Il y a – je devrais plutôt dire il y avait – vingt-huit pays producteurs de café. En Asie, en Afrique, en Indonésie, en Amérique du Sud, aux Caraïbes…

– Vingt-huit, soupira Kris, soulagée. Dieu soit loué !

– Pourquoi ? demanda le docteur, intrigué par sa réaction.

– Parce qu’il doit y avoir quelque part des grains de café qui n’ont pas été réquisitionnés par les Cattenis. Ils sont devenus accros au café, tu comprends.

– Pas tout à fait, mais je suis content que ma mémoire chancelante puisse te fournir des informations. Si tu veux bien attendre quelques instants, je vais consulter l’encyclopédie tout de suite.

– Pourrais-tu apporter les références à l’assemblée de ce soir ?

– Oui, oui, bien sûr. C’est la torréfaction qui est importante, tu sais, ajouta-t-il d’un ton serviable.

Comme elle semblait stupéfaite, il expliqua.

– Les grains doivent d’abord être débarrassés de la pulpe du fruit, qui constitue un bon fourrage, puis il faut les faire sécher et les torréfier avant de les moudre. Le grain de café est une drupe.

Elle se rappela qu’il fallait moudre, et à l’idée du café fraîchement torréfié et moulu, elle prit une profonde inspiration, se souvenant de son odeur délicieuse. Inoubliable et indescriptible.

– Mais ce n’est pas aussi important que de savoir où en trouver.

– En trouver ?

– Rançon, docteur, rançon ! dit-elle en sortant, suivie de l’écho de cette remarque énigmatique.

Elle se donna du courage en chantonnant « vingt-huit » jusqu’au hangar, maintenant bondé de gens affairés. Elle se glissa dans le bureau qu’elle partageait généralement avec Zainal, et alluma l’ordinateur. Elle avait seulement à taper quelques listes. Comme celle des vingt-huit producteurs et des principaux vendeurs du produit fini.

Comment pouvaient-ils évaluer la valeur du café ? Les Cattenis trouveraient-ils le café aussi précieux que l’or ? Hum. Peut-on imaginer une cuillerée de café fraîchement torréfié aussi chère que de l’or ? Gloussant intérieurement, elle se mit à taper.

Il y a vingt-huit pays producteurs de café sur la Terre : en Asie, Afrique, Indonésie, Amérique du Sud, se dit-elle, et ils ne peuvent pas tous avoir été pillés par les Cattenis. Des rires joyeux lui firent lever les yeux vers la porte ouverte du hangar, où se trouvaient des jeunes gens enguirlandés de râblés.

Et quelle valeur attribuer à une livre de râblé ? A une once ? A un individu entier ? Quelqu’un avait-il jamais ouvert une boutique pour en vendre ?

Une caisse par animal ? Le slogan se glissa dans son esprit. Bon, ça ferait l’affaire le temps d’en trouver un autre.

Tout le monde vint à la réunion du Conseil. Elle s’y attendait, mais elle fut ravie de constater que même Miller, ses fermiers et ses mineurs étaient venus du nord du continent, de même que le chef Materu qui résidait dans le Sud. Comme elle s’attardait au pied de l’estrade, elle vit Clune et Peran qui escortaient le chef Materu et le présentaient aux autres. Elle ne vit pas Floss, mais elle repéra Bazil, Ditsy et Ferris.

Chuck entra, Dorothy à son bras, suivi de ses deux cousines, qui avaient l’air excessivement fières de lui. Elles avaient le visage plus coloré ce soir, pourvu qu’elles n’aient pas attrapé de coups de soleil. Puis elle se rappela qu’elles étaient texanes, et qu’elles avaient l’habitude de se méfier des expositions prolongées. Zainal arriva avec Peter, Iri Bempechat, Yuri Palit et Walter Duxie, l’ingénieur minier. Sev Balenquat les suivait, et, légèrement inquiète, Kris espéra qu’il ne participerait pas à cette mission, vu qu’il avait failli faire rater la précédente. Mais il était pilote qualifié et il avait piloté les KDL. Certaines personnes attiraient la poisse, et il en faisait partie. On pouvait presque voir l’aura maléfique qui l’entourait.

Zainal aida le juge Bempechat à monter sur l’estrade, et tira pour lui le fauteuil du milieu. Le juge, toujours courtois, attendit que Chuck ait fait asseoir Dorothy et qu’il retourne à sa place près de ses cousines.

Immédiatement, les bavardages diminuèrent. Les nouveaux membres de la Force spatiale de Botany entrèrent avec Peter Easley, qui leur indiqua des sièges sur la gauche, avant de monter sur l’estrade. Kris prit sa place habituelle au bout de la rangée, saluant de la tête le juge qui lui sourit, et sortit de sa poche le maillet qu’il utilisait en ces circonstances et qu’il posa bien en évidence devant lui. Les conversations se firent plus étouffées et les gens s’assirent dans de grands bruits de chaises. Les derniers membres du Conseil entrèrent en coup de vent, Léon Dane, en retard comme d’habitude, ainsi que Worrell, Beth Isbell et Sara McDoual.

Le juge donna un vigoureux coup de maillet sur la table, et le silence se fit.

– Comme tous les membres du Conseil sont présents, je vais demander à Chuck Mitford de nous faire son rapport sur son récent voyage sur Terre. Et bienvenue à Mlles Mitford. Ravi de vous avoir parmi nous.

Les deux sœurs remuèrent avec embarras, gênées de ces salutations officielles, mais elles sourirent joyeusement au juge.

Chuck s’avança au milieu de l’estrade.

– J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle, mes amis. La mauvaise, c’est que la plupart des pièces qui nous sont indispensables pour entrer en contact avec d’autres systèmes et la Terre font partie du butin emporté sur Barevi. La bonne, c’est qu’il y a un puissant revirement en faveur du « partage » sur notre monde natal, tel qu’on n’en avait jamais vu jusque-là. Mais nous n’avions jamais vu les Cattenis non plus, dit-il, avec un geste d’excuse à Zainal. Vous vous rappelez les équipes de la Croix Rouge et autres services d’urgence qui allaient sur les lieux des désastres pour apporter leurs secours ? Eh bien, vous savez que le désastre a frappé toute la planète, mais ce genre d’esprit de solidarité est né partout.

« Cela a commencé dans les communautés locales, s’unissant pour s’entraider et discuter de ce qu’il leur fallait. Puis ça a continué par la concertation, visant à décider à quoi consacrer efforts et matériaux pour le plus grand bien de tous. C’est-à-dire, mes amis, non pas de déterminer qui devait recevoir davantage, mais ce que chacun devait recevoir selon ses besoins. Ce qui les a le plus aidés, c’est l’Internet, les téléphones portables et, comme d’habitude, les radioamateurs. La première chose a été de rétablir la production d’électricité, dont dépendaient les communications instantanées et aussi la capacité d’expédier les fournitures indispensables dans les régions les plus éprouvées. Je n’ai jamais rien vu de pareil, même après les pires ouragans, tremblements de terre et incendies de forêts. C’est comme si nous avions tous tourné la page. Les frontières nationales n’existent plus. Je ne dis pas que c’est définitif, parce que les gens sont fiers de ce qu’ils sont, et de leurs origines, mais je dis que c’est un pas en avant vers de meilleures relations mondiales.

« C’est pourquoi nous devons rétablir les communications entre toutes les régions. C’est une occasion unique d’effacer des tas de petits griefs mesquins, et je dirais que la Terre réussira.

« Désolé de vous le rappeler, poursuivit-il avec un sourire d’excuse, mais c’est ce que nous avons fait sur Botany, et ce que nous avons appris ici, nous pouvons l’exporter sur la vieille Terre pour qu’elle reparte du bon pied.

– Mais tu as besoin des ressources de Botany, c’est bien ça, Chuck ? demanda Mike Miller.

– Oui. J’ai fait une rapide reconnaissance, et on dirait que les marchands gardent sous le coude des matériels qui ne leur servent à rien. Comme tout le monde le sait ici, j’en suis sûr, ou devrait le savoir, dit-il englobant toute l’assistance d’un vaste geste, Zainal prépare une expédition sur Barevi pour racheter ces matériels.

Il déroula une liste qui tomba jusqu’au sol.

– Voilà la liste d’achats de la Terre.

Puis il en déroula une autre, beaucoup plus courte.

– Et voilà celle de Botany. Les deux sont indispensables pour amorcer le redressement.

– Barevi ne se contentera pas de belles paroles, hurla quelqu’un. Alors, qui va payer ?

– Nous, car nous avons des produits qui intéressent les Cattenis, dit Zainal. La Terre participera grâce à des produits qu’ils ont encore en stock, et dont mes compatriotes n’ont pas réalisé l’importance pour eux ou pour nous. Mais pour amorcer les choses, nous avons sur Botany certains produits facilement négociables. Pourtant, comme ils appartiennent à la communauté, je ne peux pas demander au Conseil de me les donner. Il me faut le consentement de tous.

– Dans quelle mesure ces communications nous seront-elles profitables à nous ? dit Bob Taglione. Non que je sois contre tes projets, Zainal, mais si nous aidons tout le monde, quel profit tirerons-nous de ces communications ?

– Bonne question, Bob, dit Zainal. Je sais que beaucoup d’entre vous ont des familles dont ils aimeraient bien avoir des nouvelles régulièrement. Je ne dis pas que le service postal sera rapide, mais il existera. Les envahisseurs ont mis hors service un grand nombre de satellites qui relaient les signaux d’une partie à l’autre de la planète. Nous ne pourrons pas remplacer ce réseau vital, mais nous pourrons en installer un au-dessus de Botany, qui, où que vous soyez, vous permettra de communiquer avec toutes les régions de la Terre.

Beaucoup se mirent à crier, siffler et taper des pieds avec approbation.

– Pour ça, je marche ! vociféra Joe Marley.

– Est-ce qu’il y aura des chances de faire venir nos familles ici ?

Zainal prit une profonde inspiration et, presque en même temps, Kris aussi. Ils avaient discuté de ce problème au Conseil. Aucune décision n’avait été prise.

– C’est une possibilité, Astrid.

Elle faisait partie de l’équipe de Zainal.

– Cela dépendra de leurs besoins et de la disponibilité des transports. Mais certaines personnes, comme les cousines de Chuck Mitford, auraient sans doute intérêt à passer quelques mois sur cette belle planète bricoleuse, bien que je n’aie jamais pensé que nous en arriverions à recommander Botany pour passer les vacances.

– Je croyais que vous ne preniez jamais de vacances, vous autres Cattenis, dit Léon Dane, facétieux.

– Rien que le fait de vivre ici peut être considéré comme des vacances par rapport à ce que j’ai connu, répliqua Zainal avec un sourire ironique. Nous demanderons à nos visiteurs de travailler pour le bien général ou dans leur spécialité s’ils ont des compétences utiles pour nous. Et je n’en vois pas qui nous seraient inutiles. Surtout la graisse de coude !

Il regarda Kris, pour voir s’il avait utilisé correctement cette expression familière, mais sa remarque candide suscita bien des gloussements.

Elle croisa les bras, pour réprimer la fierté que provoqua cette réponse. Avait-il pris des leçons de relations publiques avec Peter Easley, ou avait-il appris instinctivement comment manipuler les foules ?

– Bob, Rose a l’intention de t’aider à cataloguer les plantes indigènes pendant qu’elle se remet d’un rude hiver au Texas, dit Chuck, provoquant des rires. Et Cherry rééduquera le bras qu’Ole a failli se faire arracher.

Il y eut des acclamations et des applaudissements dispersés, de sorte que Cherry rougit une fois de plus et se renfonça sur sa chaise.

– Nous avons fait une liste des spécialistes dont nous aurons le plus besoin pour équilibrer notre pool de compétences techniques. Aussi nous sommes ouverts à toutes les suggestions, surtout si vous savez où se trouvent ces techniciens, dit-il, montrant le panneau d’affichage. Mais pour cela, il nous faut des satellites et des tas de téléphones portables.

– Que Dieu nous protège ! cria quelqu’un avec consternation, ce qui provoqua d’autres rires.

– Il me faut aussi un bon prétexte pour aller sur Barevi, et traiter avec les marchands est une façon d’y séjourner aussi longtemps que j’en aurai besoin, dit Zainal d’un ton déterminé. Les archives indiquant où sont allés les autres vaisseaux d’esclaves se trouvent sur Barevi, et j’ai bien l’intention de les consulter.

– Alors ce voyage se double d’une opération clandestine ? demanda Walter Duxie.

Zainal acquiesça de la tête.

– Mais nous ne pouvons pas partir les mains vides, et il nous serait utile d’avoir des produits alimentaires pour attirer le client.

– Tu penses à quoi, en fait de produits botaniens, Zainal ?

– Mike Miller ? Peux-tu annoncer ce que tu nous apportes pour faire du troc ?

– Tu veux dire racheter ce qui nous appartient ? remarqua Dick Aarens sans ambages.

– Oui, c’est peut-être une formulation plus appropriée, Dick, répondit Zainal avec douceur, et il y eut des mouvements divers dans la salle.

Faites confiance à Dick pour semer la zizanie, se dit Kris, songeant qu’il était à la fois son pire ennemi et l’ardent opposant à Zainal.

Zainal dut encourager Mike à se lever.

– J’ai apporté les pépites d’or que nous avons trouvées dans un cours d’eau du Nord, mais n’allez pas vous imaginer que vous pouvez tous venir faire de la prospection facilement. Demandez à mes mineurs. Demandez à Duxie, ici présent. Il n’y en a pas beaucoup dans le meilleur des cas et, dans le pire, la monnaie de Botany n’est pas basée sur l’or. Elle est basée sur le travail, ce qui est beaucoup mieux pour tous. J’ai apporté du zinc, de l’étain, du plomb et du cuivre – et on en trouve à foison à ce que nous appelons Fort d’Empoigne.

Cette saillie provoqua de nouveaux rires.

– Et une quantité de traces d’autres métaux. Des métaux que nous avons en quantité et que nous pouvons utiliser pour faire du troc. Je ne sais pas ce que vous en pensez, les gars, mais j’ai des amis sur la Terre à qui j’aimerais bien envoyer des messages de temps en temps. C’est plus important pour moi que tout l’or de Fort Knox.

– Bravo, bravo ! cria l’assistance.

– Comment savons-nous sur quel standard est basée la monnaie de Barevi ? demanda quelqu’un.

– Bonne question, dit Dick Aarens.

– Nous allons leur faire un cirque qu’ils ne pourront pas ignorer, dit Peter avec un geste désinvolte, comme si ça n’avait aucune importance.

– Je ne crois pas qu’ils recherchent des râblés, cuits ou crus, rétorqua Aarens.

– Sur la liste que nous avons, tout peut être remplacé, avec un peu de temps et d’efforts, dit Mike Miller, contrarié par les efforts d’Aarens pour dénigrer les actions de Zainal.

– Je trouve bizarre qu’un Catteni veuille faire du troc à notre profit avec ses propres compatriotes. Pour moi, c’est de la connivence, rétorqua Aarens, regardant Miller avec colère.

– Nous serions toujours sous la domination des Cattenis si Zainal n’était pas intervenu avec ce Kamiton, dit Yuri Palit, furieux.

– Comment savoir ? Comment savoir si cette histoire de troc avec les marchands bareviens n’est pas une façon de nous voler nos ressources, à nous et à Botany ? demanda Aarens, levant un doigt accusateur à l’adresse de Palit.

– Considérant tout ce que Zainal a déjà fait pour nous, dit Chuck, cramoisi de colère, ta supposition est injurieuse.

– Je suis toujours injurieux, rétorqua Aarens, enchanté.

– Tes remarques sont déplacées, dit Iri Bempechat, abattant son maillet sur la table.

– Permettez-moi de préciser quelque chose. Nous avons un Conseil, dit Zainal, montrant l’estrade, pour décider des questions d’importance planétaire. Ce qui est le cas aujourd’hui, vu que ce sont les ressources de Botany que j’espère utiliser pour nous procurer les composants nécessaires au lancement d’autres satellites autour de Botany, et pour réparer le réseau de communications autour de la Terre. Si cela ne vous convient pas, vous avez l’occasion de le déclarer maintenant, que ce soit injurieux ou non. Et je voudrais que Dick Aarens nous accompagne, vu qu’il est spécialisé dans les circuits.

– Tu ne risques rien, ricana Aarens. Tu sais que je ne retournerai jamais dans l’espace.

On n’entendit pas la seconde partie de sa remarque, car tous voulaient prendre la parole, et le juge dut jouer du maillet pour rétablir l’ordre.

Zainal leva les mains pour demander le silence, et poursuivit :

– Nous avons aussi plusieurs astronefs actuellement inutilisés. Je propose qu’on en vende un pour couvrir les frais de l’expédition.

Suggestion suivie d’un rugissement désapprobateur. Les Botaniens étaient très fiers de leurs capacités spatiales.

– On peut toujours extraire plus d’or et de métaux, mais on ne pourra pas se procurer un autre astronef aussi facilement !

– L’or et les autres métaux achèteront des trucs utiles à tous. Prends-les, Zainal.

– J’irai moi-même en extraire. Montrez-moi seulement où !

– Tu es sûr que ça marchera, Zainal ?

– On m’a assuré que oui, répondit Zainal. Aussi sûr qu’on peut l’être. Vous connaissez tous mes rapports avec Kamiton, mais il n’avait pas prévu l’entêtement des marchands bareviens. C’est pourquoi c’est à moi, personnellement, de traiter avec eux. Et je prends cette responsabilité très à cœur. Nous n’aurions pas ce problème si je n’avais pas oublié à quel point ils sont matérialistes.

– Ce n’est pas ta faute, Zainal, dit Chuck, abattant son poing sur la table avec une force qui fit sursauter tous ceux qui l’entouraient.

– Tu n’as aucun reproche à te faire, Zainal, dit Dorothy Dwardie, pointant le doigt sur lui. Tu as conclu un marché avec Kamiton, et tu n’y es pour rien s’il renie sa parole.

– S’il renie sa parole ? dit-il, clignant des yeux.

– S’il ne tient pas sa promesse, traduisit Kris. Kamiton semble avoir des difficultés internes avec son nouveau gouvernement.

Elle sourit, confiant à l’assemblée :

– Nous dissiperons le malentendu. Et nous rapporterons aussi du café.

Promesse saluée par des acclamations.

– Ils regretteront de s’être entichés du café. Nous pouvons utiliser cela à notre avantage, vous savez. L’offre est toujours une bonne incitation au commerce.

– Et les dents en or ?

– Il faut bien plus de temps pour en faire que pour préparer un bon café.

– Ah, le café !

– Dis donc, est-ce qu’ils sont aussi devenus accros au chocolat ? s’enquit une femme.

– C’est qu’on peut s’y habituer aussi vite qu’au café !

Des rires bon enfant saluèrent cette remarque.

– Tu noteras où vont nos ressources, hein, Zainal ?

– Certainement, affirma Chuck avec force. Nous rendrons compte de l’utilisation de toute paillette d’or, de toute once de cuivre, de zinc et du moindre grain de minerai. N’est-ce pas, Sally ?

– Je viens avec vous ? demanda Sally Stoffers, les yeux dilatés d’excitation.

– Tu étais bien comptable autrefois, non ? demanda Chuck.

– Oui, mais seulement sur la Terre.

– Où qu’on soit, la compta c’est la compta, rétorqua Chuck d’un ton sans réplique.

– Je propose une motion pour mettre aux voix l’attribution à Zainal des ressources de la colonie en vue d’acquérir les matériels technologiques dont nous avons besoin, cria Walter Duxie.

– J’appuie cette motion, dit Mike Miller.

– Que tous ceux qui sont d’accord se lèvent !

Il fit signe à Dorothy, secrétaire du Conseil, de compter les voix.

Le vote ne fut pas unanime, mais plus des deux tiers des assistants approuvèrent, et c’était suffisant, déclara le juge Bempechat.

– Espérons ardemment que nous réussirons, murmura Kris à Peter, assis près d’elle.

– C’était presque trop facile, répliqua-t-il. Et ai-je bien vu des conservatrices comme Anna et Janet changer d’idée ?

Kris n’avait pas regardé si ces deux femmes, de morale si pointilleuse et si peu compatissantes, étaient dans l’assistance. Il lui fallut du temps pour les trouver, tout au fond de la salle.

– Elles n’ont pas l’air heureux, hein ? dit-elle, car elle aurait cru qu’ils obtiendraient une réaction négative de ces deux-là.

– Bah, elles ont de la famille sur la Terre, comme tu les as entendues le dire, j’en suis sûr.

Kris hocha la tête, puis retint son souffle en voyant Janet se lever.

– Je soulève la question de la venue des familles sur Botany. Je sais que certaines sont dans des situations terribles et bénéficieraient d’un séjour ici, loin du stress et des ravages.

Dorothy leva la main pour qu’Iri lui donne la parole.

– En fait, nous avons déjà discuté de ce problème au Conseil, Janet. Comme tu le sais, Chuck a ramené ses cousines, et nous examinerons d’autres candidatures au retour. Mais comme vous le savez tous, Botany fonctionne parce que nous travaillons tous. Naturellement, nous pouvons admettre un certain nombre de gens dont l’état physique et mental peut être amélioré par un changement de vie, mais nous devons prendre en compte nos ressources et nos compétences. Si vous êtes d’accord, le Dr Hessian et moi-même nous organiserons des entrevues avec ceux qui désirent loger des parents. Cela te convient-il, Janet ?

– Et les vallées ? Et celle que nous avons aménagée pour les familles cattenies ?

– Elle n’a que des capacités limitées, mais elle figure dans nos plans de reclassement des sinistrés.

– Des sinistrés ? dit Janet, outrée. Je te signale…

– Nous en discuterons lors de notre entrevue, dit fermement Dorothy, coupant son baratin avant qu’elle ne le développe. Viens me voir après l’assemblée, et nous conviendrons d’un rendez-vous.

Kris avait envie d’étrangler Janet – une fois de plus. Botany était un sanctuaire, et devait être accueillante pour les traumatisés, mais pas pour tout le monde. La guérison de toutes les victimes des sondes mentales avait prouvé que la beauté sereine de Botany pouvait effacer les blessures et le stress. Et il y avait des gens compétents – et disponibles – pour les aider. Raison de plus pour établir de meilleures communications entre les deux planètes afin de prévenir un exode massif de Terriens sur Botany. La planète pouvait nourrir sa population actuelle, mais pas une immigration massive. Elle aimait Botany telle qu’elle était actuellement, avec un bon équilibre des personnalités et des compétences. Si elle était déséquilibrée dans une direction – si elle devenait un vaste hôpital, par exemple –, elle s’écroulerait sous ce poids. Car c’était la résilience de la communauté qui s’était révélée sa principale ressource. Puis elle s’interrogea sur la possibilité d’incessants allers-retours entre Botany et la Terre.

– Y a-t-il d’autres questions à discuter devant le Conseil et le peuple ? demanda Iri Bempechat, embrassant la salle du regard.

– Silence, silence ! cria Chuck d’une voix de stentor pour dominer les bavardages. D’autres questions pour le Conseil et l’assemblée ?

Un long silence répondit à sa question.

– Alors, retournons à nos affaires, dit Léon en se levant.

Le juge donna un dernier coup de maillet sur la table et se leva, un peu raide d’être resté assis si longtemps dans la même position. Puis il rangea son maillet dans sa robe de juge et descendit de l’estrade.

Les assistants se réunirent par petits groupes pour parler de l’assemblée, et Janet intercepta Dorothy au bas des marches du podium.

– Est-ce cette technique de conseil municipal qui vous a permis d’accomplir tant de choses avec si peu ? demanda le capitaine Harvey à Kris quand elle sauta à bas de la scène.

– Plus ou moins, dit-elle, souriant de voir quelques Botaniens célibataires foncer sur la séduisante rousse.

– Ne laissez pas les feignants débarquer ici en force pour vivre à vos crochets, ajouta le capitaine Harvey, s’assurant discrètement que les autres ne pouvaient pas l’entendre.

– Qu’est-ce que tu veux dire par « feignants » ?

– Il y a toujours des loosers qui profitent de leur situation pour faire pitié. Qu’est-ce que vous feriez de ceux qui ne veulent rien faire ?

– Je ne sais pas encore. Sans doute que nous essaierons de sélectionner les candidats et limiterons la durée de leur séjour, dit Kris. Mais pour rester définitivement, ils devront faire leurs preuves.

– C’est ce que la vieille Terre est en train de découvrir. Qui peut contribuer au bien général ? Pas au même degré, mais il y a bien des façons de s’y prendre, non ?

– Oui, capitaine, en effet. Capitaine Harvey, per-mets-moi de te présenter Bob Sterling, Ben Wately et Ian Halstrip. Vous avez sans doute bien des intérêts communs, car ce sont nos officiers des communications.

– Merci, Kris, dit Bob avec son accent australien si reconnaissable. Merci pour les présentations.

– En fait, nous avons besoin de l’avis du capitaine, si ça ne la dérange pas.

– Pas du tout, répondit-elle, leur serrant la main à chacun. Qu’est-ce que vous avez en tête ?

– Eh bien, nous pourrions discuter de quelques points techniques en prenant des rafraîchissements, dit Bob, lui tenant courtoisement le bras et la conduisant vers le buffet du réfectoire où des boissons et des desserts étaient servis.

Kris les regarda s’éloigner avec un grand sourire, puis elle chercha Zainal du regard. Ils avaient encore beaucoup de détails à régler avant le matin. Pour commencer, où iraient-ils en premier ? Sur Terre ? Le bon Dr Hessian, bien qu’ennuyeux à mourir, lui avait trouvé des quantités stupéfiantes d’informations sur le café, et si elle ne trouvait pas ce qu’elle voulait au Brésil ou au Venezuela, il y avait toujours le Zaïre, l’Ethiopie ou Java. Elle avait fait attribuer plusieurs tonnes de blé à l’expédition, entamant à peine deux silos, de sorte qu’elle n’avait pas l’impression de piller Botany. Cela paie toujours d’avoir plusieurs cordes à son arc, non ? Et si l’éclat des pépites ne tentait pas le chaland, peut-être que « l’or noir »■ du café ferait l’affaire !

Le KDM avait sa nouvelle identité peinte sur ses flancs et sa proue : Bass-1, pour Botany Airforce Spaceship-1 – Astronef de la Force Spatiale de Botany-1. Ou Baker Alpha Sugar Sugar-1.

Kris l’admira avec fierté, puis elle se mit en devoir de monter à bord les réserves de vivres à entreposer dans les unités réfrigérées. Des plats de pain et de râblés rôtis furent ainsi chargés, de même que du blé, commodément réparti en sacs de vingt-cinq livres, et une douzaine de sacs de farine, assez pour faire le pain pendant le voyage et le séjour sur Barevi.

Tous ceux qui parlaient couramment le catteni étaient de l’expédition, plus certains spécialistes comme Herb Bayes, électricien dont ils auraient besoin, le capitaine Katherine Harvey pour compléter sa formation de pilote et Mpatane Cummings, expert en communications, Eric Sachs, Clune, Ferris, Ditsy, Floss et les deux fils de Zainal, très excités par la mission. Kris se demanda si Zainal les avait prévenus qu’il leur chercherait un précepteur sur Barevi. Bon, elle n’allait pas gâcher leur joie par ce détail qui, après tout, ne la regardait pas. Sally Stoffers les accompagnait en qualité de comptable. Elle et Floss occupaient la même cabine, situation qu’elles n’appréciaient ni l’une ni l’autre, mais le nombre de cabines était limité sur le KDM, bien que suffisant pour ceux qui avaient de bonnes raisons de faire partie de l’expédition.